S’ancrer dans la paix du cœur

Une paix insaisissable ?

La paix du cœur, on la cherche, on la désire… mais elle semble si fugace. Lorsqu’on médite, il arrive qu’on en goûte un instant, et puis, à la première contrariété, elle s’envole. Un bruit, un mot, une démangeaison… et la voilà disparue.

Qu’est-ce que la paix intérieure ? Comment la recevoir et la cultiver ? De quoi dépend-elle vraiment ?

Ces questions sont au cœur de la spiritualité chrétienne, en particulier chez les Pères du désert. Et les paroles de Jésus nous invitent à une expérience : donner et recevoir la paix, en particulier après la Résurrection, quand il dit à ses disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » (Jean 14, 27)

Une paix différente de celle du monde

Jésus parle d’une paix qui ne ressemble pas à celle du monde. La paix du monde repose sur des conditions extérieures : bien-être, confort, absence de conflits. Elle est souvent égocentrée : tant que tout va bien autour de moi, je suis en paix. Mais cette paix est fragile, car elle dépend de circonstances qui nous échappent.

La paix intérieure, elle, ne dépend pas des événements. C’est un sentiment d’unité avec ce qui est, même quand la réalité est inconfortable. Elle naît d’un alignement profond avec la Vie, au-delà de nos attentes et de nos désirs.

Christian Bobin l’exprime magnifiquement :

« J’épluchais une pomme rouge du jardin quand j’ai soudain compris que la vie ne m’offrirait jamais qu’une suite de problèmes merveilleusement insolubles. Avec cette pensée est entré dans mon cœur l’océan d’une paix profonde. »

Trois chemins vers la paix du cœur

Goûter à cet océan de paix profonde n’est pas seulement une question de grâce. La paix est déjà là, présente en nous, mais c’est à nous de nous y relier. Pour cela, trois chemins peuvent nous y conduire, inspirés des Pères du désert et de la tradition de l’hésychasme (hesychia, le silence, la paix).

1. La pratique de reliance

Le premier chemin est celui de la présence continue à la Source de la Vie. Dans la tradition orthodoxe, c’est la présence du cœur par la répétition d’une prière simple comme Kyrie Eleison.

Mais il existe d’autres manières de pratiquer cette ouverture :

  • Contempler un coucher de soleil ou une nuit étoilée et être attentif au silence qui suit.
  • Écouter de la musique et se concentrer sur l’espace entre les notes.
  • Observer le vide entre les arbres plutôt que les objets eux-mêmes.

Dans ces espaces de silence, la paix se révèle.

2. Accueillir ce qui fait obstacle

Parfois, même en pratiquant la méditation, la paix semble inaccessible. Des émotions comme la peur, la tristesse ou la colère nous en bloquent l’accès. Les anciens appelaient ces blocages des passions, des lieux de souffrance non écoutés.

Refouler ces blessures ne fait que renforcer leur emprise. Au contraire, il faut aller les rencontrer, leur donner une place, les nommer. Christiane Singer raconte l’histoire d’un vieux rabbin qui, à la fin de sa vie, retourne sur le pont où il avait été attaqué enfant. Il retrouve symboliquement cet enfant blessé et le prend par la main pour l’accueillir en lui. Ainsi, il libère son passé et peut mourir en paix.

Nous ne pouvons goûter à la paix tant que nous n’avons pas guéri notre rapport à la Vie. Il nous faut réconcilier en nous ce qui a été blessé, afin de retrouver une relation fluide avec l’existence.

Christian Bobin disait :

« Ce n’est pas sa beauté, sa force et son esprit que j’aime chez une personne, mais l’intelligence du lien qu’elle a su créer avec la Vie. »

3. L’expérience de conscience élargie

Le troisième chemin est celui des expansions de conscience. Ces moments où nous touchons une réalité plus vaste, où nous sommes traversés par une perception qui transforme notre rapport à la vie.

Certains vivent cela à travers des Expériences de Mort Imminente (EMI), qui transforment leur peur de la mort et ancrent une confiance profonde. Mais on peut aussi y accéder par des pratiques comme le rêve éveillé, le focusing ou la méditation profonde.

Lors d’un week-end de focusing, j’ai moi-même fait une expérience forte qui a transformé ma vision de l’avenir. J’ai senti que, même si je devais perdre tous mes repères habituels, la confiance était là, inscrite jusque dans mes cellules. C’est à ce moment-là que le thème de cette réflexion s’est imposé à moi.

Une paix qui rayonne

Saint Séraphin de Sarov disait :

« Trouve la paix intérieure et une multitude sera sauvée à tes côtés. »

Ce chemin vers la paix ne nous concerne pas seulement nous. Il rayonne autour de nous, touche ceux qui nous entourent, se transmet d’une génération à l’autre.

Cultiver la paix du cœur est un chemin d’humilité, de patience et d’écoute. C’est un travail de toute une vie, mais chaque pas vers elle est déjà un goût de plénitude.

Nils Phildius, 6 mai 2024