Une présentation théologique et spirituelle de la Maison bleu ciel
À la Maison bleu ciel, à Genève, nous vivons une manière singulière et incarnée de suivre le Christ. Ce texte propose une première mise en mots, encore en chemin, de ce qui nous anime. Il ne s’agit pas d’un exposé théologique, ni d’un manifeste. C’est un témoignage. Une parole née de l’expérience, pour partager ce que nous recevons, ce que nous explorons, et comment nous cherchons à vivre l’Évangile aujourd’hui : non pas en marge du monde, mais en pleine réalité.
Ces lignes parleront sans doute à toutes celles et ceux qui pressentent que la foi chrétienne pourrait s’ouvrir autrement. Nous ne proposons pas d’en sortir, mais d’en retrouver la source, pas d’abandonner la foi, mais d’en raviver le feu intérieur.
Notre approche est ce que nous appelons une spiritualité chrétienne non-duelle. Ce terme peut sembler étrange, voire déroutant. Il désigne pourtant une manière simple et profonde d’habiter l’unité. De ne plus opposer l’humain et le divin, le corps et l’esprit, la Terre et le ciel, mais de reconnaître qu’ils sont déjà reliés, au cœur même de la vie. L’Évangile devient alors non plus un système de croyances, mais un chemin d’unification, une présence à ce qui est, une ouverture à l’Essentiel.
Cette théologie prend racine dans l’expérience. Elle s’appuie sur une lecture symbolique et intérieure des textes bibliques, et sur une spiritualité incarnée. Le silence, le corps, la relation, la nature, l’écoute du Vivant : tout cela devient espace de révélation.
Trois questions pour ouvrir :
- Et si la foi chrétienne n’était pas d’abord ce que nous croyons, mais ce que nous devenons ?
- Et si le Christ n’était pas seulement celui que nous adorons, mais celui que nous découvrons comme présence vivante, en nous et entre nous ?
- Et si l’Église, plutôt que d’être un cadre à préserver, devenait un espace d’éveil, de communion et de transformation ?
Ce que nous expérimentons à la Maison bleu ciel
La Maison bleu ciel n’est ni une paroisse, ni un lieu de culte au sens habituel. C’est un espace de foi vécu autrement, un lieu d’expérience chrétienne qui parle autant aux chercheur-euses non croyant-e-s qu’aux croyant-e-s en quête de sens. On y vient non pas pour assister à quelque chose, mais pour entrer dans une expérience intérieure. Non pas pour apprendre quoi penser, mais pour goûter, habiter, respirer autrement.
Notre ancrage repose sur une vision chrétienne non-duelle : une foi qui relie au lieu de séparer, qui réveille au lieu de convaincre, qui ouvre au Vivant intérieur plutôt que de le figer dans de longues formulations ou des institutions.
Ce que nous vivons ici, c’est une autre manière de suivre le Christ. Non pas une autre religion, mais une autre posture.
Dix repères concrets
1. Le Christ comme lumière éveillée en chacun-e
Quand Jésus dit : « Je suis la lumière du monde » (Jean 8,12), il révèle sa mission. Quand il ajoute : « Vous êtes la lumière du monde » (Matthieu 5,14), il nous fait entrer dans cette même mission. Trop souvent, on a mis l’accent sur la première phrase en oubliant la seconde. À la Maison bleu ciel, nous cherchons à faire vivre cette lumière en nous, à travers le silence, la méditation, les chants, l’écoute intérieure, les textes relus autrement. Le Christ n’est pas une figure extérieure à admirer, mais une Présence à découvrir au-dedans. Il n’est pas séparé de nous. Il est ce que nous sommes appelés à devenir.
2. Une bonne nouvelle qui réveille
Jésus ne commence pas par juger, mais par appeler. Il dit : « Le règne de Dieu est proche. Faites retour. » (Marc 1,15). Le mot grec « metanoïa », souvent traduit par « repentez-vous », signifie en réalité : opérez un retournement, changez votre manière de voir. À la Maison bleu ciel, nous comprenons cette parole comme une invitation à revenir vers soi. Non pas vers un soi égoïste, mais vers ce lieu plus profond en nous. Sentir son souffle, accueillir ses émotions, se rendre présent à ce qui est là : tout cela devient déjà chemin de retournement. La bonne nouvelle, ce n’est pas que nous sommes fautifs, mais que nous sommes habités. Le péché n’est plus une faute à punir, mais ce qui nous coupe de nous-mêmes. Et la grâce, ce qui nous relie.
3. Le règne de Dieu est au-dedans
« Le règne de Dieu est au-dedans de vous » (Luc 17,21). Cette parole change tout. Elle déplace le centre, elle inverse les repères. Le règne n’est pas un ailleurs à attendre, mais un espace à reconnaître. Il n’est pas un lieu, mais une qualité de présence, de conscience. À la Maison bleu ciel, nous le laissons émerger dans la profondeur d’un silence partagé, dans une parole vraie, dans un regard habité. Le règne, c’est ce moment où l’on se sait relié, où tout devient simple, juste, et où la paix n’est plus une idée, mais une expérience.
4. Le Je-suis comme lieu de naissance
Quand Jésus dit : « Je suis la porte », « Je suis la vie », « Je suis la lumière », il ne parle pas de lui comme individu. Il parle depuis un lieu de révélation. Il rejoint le Nom révélé à Moïse : « Je suis » (Exode 3,14), puis il dit : « Je suis en vous » (Jean 14,20). Ce « Je-suis » n’est pas une propriété divine à contempler, mais une invitation à naître. À la Maison bleu ciel, ces paroles deviennent des appels à habiter nous aussi ce lieu du Je-suis. Non comme un titre à revendiquer, mais comme un espace intérieur, nu, vivant. Un espace de présence.
5. La croix comme passage, non comme dette
La croix n’est pas une punition infligée à Jésus pour satisfaire un Dieu distant. Elle est un passage, une traversée, une offrande. Jésus ne meurt pas pour payer, mais pour révéler que l’amour peut traverser la séparation. Quand il dit : « Tout est accompli » (Jean 19,30), il ouvre un chemin. À la Maison bleu ciel, chaque silence profond devient comme un petit Vendredi saint : on laisse mourir ce qui divise, on laisse naître ce qui relie. La Résurrection, alors, n’est pas un événement du passé, mais une manière d’être au monde : plus vivant, plus relié, plus vrai.
6. Le Père et les cieux comme espace intérieur
Quand Jésus dit : « Notre Père qui es aux cieux », il ne désigne pas un dieu extérieur, perché au-dessus de tout. Il parle d’une Source de confiance. En hébreu, « cieux » se dit au pluriel – shamayim – et renvoie aux espaces de la Présence. Nous prions ainsi : « Au-delà de tout et au-dedans de nous ». Ce n’est pas une formule vague, mais une manière de se relier à cette Source, à la fois intime et infinie, qui habite tout être vivant.
7. L’Esprit comme souffle qui relie
L’Esprit n’est pas une idée abstraite, ni une énergie lointaine. Il est un souffle, un lien, un frémissement discret qui met tout en mouvement. « Là où est l’Esprit, là est la liberté » (2 Corinthiens 3,17). À la Maison bleu ciel, nous sentons sa présence quand quelque chose devient juste, quand un mot descend plus profond, quand un silence devient vivant. Ce n’est pas spectaculaire. C’est souvent presque rien. Mais ce rien-là transforme tout. L’Esprit fait passer un groupe à une communion, un moment à une ouverture.
8. Une foi à vivre, pas à imposer
Beaucoup aujourd’hui ne croient plus « en Dieu ». Mais ils cherchent. Ils ont soif d’authenticité, de silence, de reliance. À la Maison bleu ciel, nous ne disons pas : voici ce qu’il faut croire. Nous disons : viens. Assieds-toi. Respire. Écoute. Sois là. Dans cette disponibilité naît une autre forme de foi. Une foi sans obligation, une foi comme présence, une foi qui se goûte.
9. L’Église comme lieu d’éveil
Jésus dit : « Le sabbat est fait pour l’humain » (Marc 2,27). L’Église aussi devrait être faite pour que l’humain s’éveille à ce qu’il est. À la Maison bleu ciel, nous n’avons pas de structure à défendre, mais des espaces à ouvrir. Pas de programmes figés, mais des chemins souples, qui laissent place à l’inattendu. Pas de catéchisme à réciter, mais des paroles vraies, des silences profonds, des gestes qui relient. L’Église devient alors une matrice, un lieu qui fait naître le feu intérieur.
10. Une foi engagée, reliée à la justice
Jésus s’est toujours tenu du côté des petits, des oubliés, des blessés. Il n’a jamais parlé depuis les hauteurs du pouvoir. À la Maison bleu ciel, cette attention devient concrète. Nous prenons soin des corps, des émotions, des relations. Nous prions avec la Terre. Nous chantons avec les arbres. Nous accueillons la fragilité du monde. La foi devient alors un engagement, non par devoir ou stratégie, mais par amour. Parce qu’on ne peut pas faire autrement quand on se sent relié.
En guise d’envoi
Ce que nous vivons ici n’est pas une rupture avec l’Évangile. C’est un retour à sa source la plus vive. Ce n’est pas une vérité nouvelle, mais une mémoire ancienne, redonnée autrement. Ce n’est pas une Église à copier, mais un espace à ouvrir. Pour que l’Essentiel, au cœur du Vivant, puisse se dire à nouveau.
Nils Phildius