Nul ne vient au Père que par… Je-suis

« Nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14,6)

Cette phrase bien connue de Jésus est souvent interprétée comme une affirmation exclusive, comme si seul un chemin spécifique – et donc limité – menait à la vérité. Pourtant, en y regardant de plus près, elle porte un enseignement d’une tout autre ampleur, bien plus inclusif et universel. Elle nous invite à une expérience intérieure, à un cheminement vers ce qui est déjà là, en nous : le « Je-suis ».

Une lecture renouvelée

Dans la plupart des traductions, on lit : « Nul ne vient au Père que par moi. » Cette formulation a souvent été utilisée pour affirmer que le christianisme serait la seule voie valable vers la vérité. Or, si l’on se place dans une perspective non-duelle, où le Divin est à la fois au-delà de tout et au-dedans de nous, cette phrase prend une toute autre résonance.

Que se passe-t-il si l’on remplace « moi » par « Je-suis » ?

Je crois vraiment que Jésus ne parle pas ici à partir de son individualité, de son « moi » historique, fils de Joseph, homme du premier siècle. Il parle à partir de l’Être profond, du Je-suis universel qui nous habite tous et toutes. Il ne dit pas : « Suivez ma personne » mais « Entrez dans cette expérience du Je-suis, et c’est ainsi que vous toucherez à la Source ». Il ne s’agit donc pas d’adhérer à un sage, à une religion ou à une doctrine, mais de vivre une transformation intérieure.

Je-suis, le chemin

Se reconnaître dans le Je-suis, c’est découvrir que notre véritable identité ne se réduit pas à nos conditionnements, à nos rôles, à nos peurs. C’est prendre le chemin de l’Être, ce processus qui nous fait passer d’une conscience identifiée à l’éphémère à une conscience enracinée dans l’Infini.

Ce chemin n’exclut rien. Il ne rejette pas notre humanité, nos émotions, nos doutes. Il les traverse, les éclaire, les transforme. Comme la chenille contient déjà en elle le papillon, notre « moi » contient déjà le Je-suis qui cherche à émerger.

Je-suis, la vérité

Nous sommes souvent pris dans des illusions sur nous-mêmes, dans des masques, des stratégies de survie qui nous éloignent de notre authenticité. Mais il existe en nous un lieu de vérité, un espace où nous sommes pleinement nous-mêmes, sans artifices. C’est là que réside le Je-suis.

Ne pas reconnaître cette dimension essentielle, c’est vivre à la surface de soi-même, en se coupant de sa propre profondeur. En revanche, laisser émerger le Je-suis, c’est entrer dans une vérité qui ne dépend d’aucune croyance, mais qui est une expérience vivante.

Je-suis, la vie

La Vie dont parle Jésus n’est pas seulement la vie biologique, celle qui commence à la naissance et s’arrête à la mort. C’est une Vie plus vaste, plus profonde, qui nous précède et nous dépasse. Elle est déjà là, toujours présente, et ne demande qu’à être reconnue.

Faire l’expérience du Je-suis, c’est sentir que cette Vie nous traverse et nous porte, que nous en faisons partie depuis toujours. C’est une naissance nouvelle, une plongée dans une dimension qui ne s’éteint pas avec le temps.

Une invitation pour tou.te.s

Ce chemin du Je-suis ne dépend pas d’une appartenance religieuse. Il n’est pas réservé à un groupe particulier. C’est une expérience universelle, ouverte à chacun et chacune, quels que soient son parcours, ses croyances, son histoire.

On reconnaît ceux et celles qui vivent cette émergence du Je-suis non pas à leurs affiliations, mais à leur manière d’être. Leurs mots, leurs gestes, leur présence portent la trace de cette conscience éveillée. On le perçoit chez des écrivains comme Christiane Singer, Etty Hillesum, Christian Bobin. Non pas parce qu’ils auraient adopté une doctrine, mais parce qu’ils ont touché à cette saveur d’Être qui transforme tout.

Ainsi, lorsque Jésus dit : « Nul ne vient au Père que par Je-suis », il nous invite à une révolution intérieure. Il nous montre que la seule voie pour rejoindre la Source est d’expérimenter en nous-mêmes cette dimension de l’Être. Il ne s’agit pas de croire en quelque chose d’extérieur, mais de reconnaître ce qui est déjà là, en nous, et de laisser le Je-suis respirer à travers notre vie.

Nils Phildius, le 3 juin 2024


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