Les Rameaux – une entrée hypersensible

1 Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, vers Bethphagé et Béthanie, près du mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples 2 en leur disant : « Allez au village qui est devant vous. Aussitôt que vous y entrerez, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le et amenez-le. 3 Et si l’on vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ?”, vous répondrez : “Le Seigneur en a besoin ; et il le renverra aussitôt.” »
4 Ils partirent, trouvèrent un ânon attaché dehors, près d’une porte, dans la rue, et ils le détachèrent.
5 Quelques-uns de ceux qui se tenaient là leur dirent : « Que faites-vous ? Pourquoi détachez-vous cet ânon ? » 6 Ils répondirent ce que Jésus avait dit, et on les laissa faire.
7 Ils amenèrent l’ânon à Jésus, posèrent sur lui leurs manteaux, et Jésus s’assit dessus.8 Beaucoup de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres, des branches coupées dans les champs.9 Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! 10 Béni soit le Règne qui vient, le règne de notre père David ! Hosanna au plus haut des cieux ! »

Marc 11, 1-11

C’est l’histoire d’un maître intérieur qui choisit un chemin à rebours de nos attentes. Un maître qui ne s’impose pas, qui ne monte pas sur le piédestal de nos performances, de nos rôles, de nos réussites, mais qui vient chercher, en nous, ce qui est encore attaché, ce qui n’a jamais servi, ce qui est resté à l’arrière-plan. Une part de nous un peu sauvage, un peu hypersensible peut-être, qu’on croyait trop fragile ou trop modeste pour porter quoi que ce soit d’essentiel. Et c’est pourtant cette part-là que le Christ choisit pour entrer.

« Vous trouverez un ânon, encore attaché… » — ce détail, dans l’évangile de Marc, n’est pas anodin. Il parle à notre intériorité. Il dit qu’il y a, en chacun-e de nous, un lieu encore retenu, un lieu qui n’a pas encore été mis au service du Vivant. Et c’est de là que peut naître quelque chose. Parce que « le Seigneur en a besoin ». Non pas de ta force, de ton mérite, de tes compétences… mais de cette simplicité-là, encore inexplorée.

Et c’est là que quelque chose d’inouï se joue : le Je-suis, cette Présence intérieure plus vaste que nous, se laisse porter. Il ne prend pas les commandes. Il ne s’installe pas à la place du conducteur. Il ne dirige pas la marche à coups d’ordres ou de démonstrations. Il se laisse porter par l’ânon, ce fragment de toi que tu pensais inutile, fragile, secondaire. Ce n’est pas rien. Cela veut dire que la Présence ne contrôle pas. Elle fait confiance. Elle s’abandonne. Elle épouse notre humanité, non pas seulement pour la transformer, mais pour se laisser porter par elle. C’est l’un des plus grands mystères : le Vivant ne vient pas pour prendre la place, mais pour marcher avec, en nous, à notre rythme, par nos chemins.

Alors la foule de toutes nos parts dépose ses manteaux. Elle laisse tomber ses apparences, ses protections, ses statuts. Les habits de fonction tombent. On fait place. On ne comprend pas tout, mais quelque chose en nous reconnaît. Une joie naît, qui ne vient pas de la tête, mais du fond. On crie « Hosanna » sans trop savoir pourquoi. Parce qu’on sent que c’est juste. Que c’est là. Que c’est maintenant.

Et puis il y a ce moment étrange : Jésus entre dans le Temple… regarde… et ressort. Il ne s’impose pas. Il ne prend pas la place. Il visite. Il observe. Il respecte. Il ne force rien. Et si le Temple, c’était notre centre, le cœur de notre cœur ? Notre lieu intérieur, notre espace sacré, parfois encombré, parfois oublié ? Il n’y entre pas pour dominer, pour réorganiser, pour conquérir. Il y entre comme on entre dans un lieu habité. Et il repart, laissant un parfum de Présence.

Cette scène, en réalité, parle d’une visite. La visite du Je-suis en nous. Pas un choc. Pas une émotion forte. Pas une révélation tapageuse. Mais un frôlement. Une visite : quelque chose de doux, de discret, qui traverse sans bruit.

La question n’est peut-être pas : est-ce que la Présence vient ? Mais plutôt : suis-je prêt-e à la reconnaître quand elle passe ? Suis-je prêt-e à détacher ce qui en moi est encore lié ? À laisser tomber ce qui me protège ? À m’ouvrir à une visitation qui ne dit pas son nom, mais qui peut tout transformer ?

Ce n’est pas une entrée en fanfare, c’est un passage silencieux. Ce n’est pas une démonstration de force, c’est une offrande d’humilité. Ce n’est pas un événement spectaculaire, c’est un moment intérieur qui peut devenir un tournant.

Et toi, aujourd’hui, que laisses-tu passer ? Quelle part de toi es-tu prêt-e à délier ? Quels manteaux es-tu prêt-e à déposer pour accueillir ce qui vient, sans éclat, mais avec une force de transformation que rien ne peut arrêter ?


Ce texte fait partie d’un chemin pour la semaine de Pâques.
Un texte par jour, comme une invitation à l’écoute intérieure, à l’éveil du Je-suis, à partir des récits bibliques relus dans une perspective non-duelle.

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