Laisser tomber ce qui passe

1 En sortant du Temple, un de ses disciples dit à Jésus : « Maître, regarde ! quelles pierres ! quelles constructions ! » 2 Jésus lui dit : « Tu vois ces grandes constructions ? Il ne restera pas ici pierre sur pierre : tout sera détruit. »

3 Jésus s’était assis sur le mont des Oliviers, en face du Temple. Pierre, Jacques, Jean et André l’interrogeaient en privé : 4 « Dis-nous quand cela arrivera, et quel sera le signe annonçant que tout cela va s’accomplir. »

5 Alors Jésus se mit à leur dire : « Prenez garde que personne ne vous égare. 6 Beaucoup viendront sous mon nom, disant : “C’est moi”, et ils égareront bien des gens. 7 Quand vous entendrez parler de guerres et de rumeurs de guerres, ne vous alarmez pas : il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin. 8 On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume ; il y aura des tremblements de terre en divers lieux, il y aura des famines. Ce sera le commencement des douleurs.

9 Prenez garde à vous-mêmes : on vous livrera aux tribunaux ; vous serez battus dans les synagogues ; vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi, pour que cela serve de témoignage. 10 Il faut d’abord que la Bonne Nouvelle soit proclamée à toutes les nations. 11 Et quand on vous emmènera pour vous livrer, ne vous inquiétez pas à l’avance de ce que vous direz, mais dites ce qui vous sera donné à cette heure-là : car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit saint.

12 Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort. 13 Vous serez haïs de tous à cause de mon nom. Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. »

Marc 13, 1-13

Il y a des moments où tout ce qu’on croyait stable s’effondre, des instants où même nos repères spirituels vacillent, où les structures qui nous rassuraient deviennent fragiles, voire vides.

On lit souvent ce passage de l’évangile de Marc comme une annonce apocalyptique, un avertissement sur la fin du monde, une parole menaçante. Mais si on l’écoute autrement, avec une oreille intérieure, il devient un texte de réveil, de dépouillement, de vérité, une invitation à traverser ce qui tombe, pour toucher ce qui ne passe pas.

Tout commence par un regard admiratif sur le Temple, ses grandes pierres, sa solidité rassurante. Et Jésus répond par une phrase déroutante : « Il ne restera pas pierre sur pierre », comme s’il voulait dégonfler doucement cette illusion de stabilité, comme s’il disait : ce que vous croyez durable ne l’est pas, ce que vous prenez pour sacré peut aussi s’écrouler, et ce n’est pas un malheur, c’est un passage.

Ça parle de l’époque, bien sûr, mais ça parle aussi de nous. Nous aussi, nous construisons des temples intérieurs, des systèmes de pensée, des représentations, des identités solides, des sécurités plus ou moins sacrées. Et voilà que Jésus les regarde avec douceur et annonce qu’ils sont appelés à tomber, non pour punir, mais pour ouvrir.

Ce n’est pas un texte seulement sur l’extérieur, c’est aussi une lecture du dedans. Les vrais tremblements ne sont pas dans les murs, mais dans nos manières d’être, de croire, d’aimer, de comprendre la vie. Jésus invite à ne pas se laisser tromper, à ne pas suivre les faux sauveurs, à ne pas s’attacher à ce qui rassure mais ne nourrit plus.

Il parle d’un effondrement, oui, mais pas comme une fin définitive, plutôt comme les douleurs d’un accouchement. Ce qui craque annonce autre chose, ce qui tremble prépare une naissance, ce qui s’effondre fait de la place à une autre vie, plus nue, plus vraie.

Et il ajoute une phrase que je trouve bouleversante : « Ne vous inquiétez pas de ce que vous direz, l’Esprit parlera en vous. » Il ne s’agit plus de tout contrôler, tout anticiper, tout sécuriser, mais d’apprendre à se tenir là, présent-e, disponible, au bord du silence, prêt-e à laisser passer une parole plus vaste, une parole qui ne vient pas de notre savoir, mais de cette Source plus profonde qui murmure au creux du chaos.

Ce n’est pas un appel à la performance spirituelle, c’est un appel à la confiance. À se laisser habiter, inspirer, traverser. Et puis vient cette dernière invitation, simple, radicale : « Celui qui persévère jusqu’au bout… »

Persévérer, non pas en serrant les dents, mais en gardant le lien, la fidélité au Vivant, même quand tout autour chancelle, même quand les repères s’effondrent, même quand la lumière se fait rare. Alors ce texte devient un repère pour aujourd’hui.

Il nous dit que certains de nos “temples” intérieurs ou extérieurs peuvent tomber, que ce n’est pas un échec mais une chance, que la crise peut devenir passage, que la nuit peut enfanter un jour nouveau, que le silence peut laisser naître une parole vraie.

Il nous invite à ne pas nous accrocher à ce qui passe, à ne pas chercher de refuge dans des formes mortes, mais à nous ouvrir à ce qui vient, à ce qui naît, à ce qui respire déjà au creux de la fragilité.

Tout s’effondre peut-être, mais la Présence demeure. Tout change, mais le Je-suis ne vacille pas. Il est là, au centre, même dans les secousses. Il ne protège pas toujours, mais il accompagne. Il n’épargne pas la chute, mais il la traverse avec nous.

Et toi, aujourd’hui, qu’est-ce qui est en train de tomber dans ta vie ?
Qu’est-ce qui résiste encore ?
Et quelle voix douce essaie peut-être de naître, au creux du silence ?

Peut-être est-ce là, justement, que commence la vraie confiance.
Quand il ne reste plus qu’une parole intérieure… et qu’on ose l’écouter.


Ce texte fait partie d’un chemin pour la semaine de Pâques.
Un texte par jour, comme une invitation à l’écoute intérieure, à l’éveil du Je-suis, à partir des récits bibliques relus dans une perspective non-duelle.

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