Samedi-saint – le jour du silence

42 Le soir étant venu – c’était le jour de la préparation, veille du sabbat43 arriva Joseph d’Arimathie, membre éminent du Conseil, qui attendait lui aussi le Royaume de l’Essentiel. Il osa se rendre auprès de Pilate pour demander le corps de Jésus.
44 Pilate s’étonna qu’il soit déjà mort ; il fit appeler le centurion pour savoir s’il était mort depuis longtemps. 45 Informé par le centurion, il remit le corps à Joseph. 46 Celui-ci acheta un linceul, descendit le corps de la croix, l’enveloppa dans le linceul, et le déposa dans un tombeau taillé dans le roc. Puis il roula une pierre à l’entrée du tombeau. 47 Marie de Magdala et Marie mère de José observaient où il était déposé.

Marc 15, 42-47

Que se passe-t-il quand tout semble fini ? Quand la mort a parlé en dernier, qu’il n’y a plus rien à dire, plus rien à faire, que tout semble figé et sans issue ?

Le samedi saint est ce jour suspendu entre deux mondes, ce jour sans récit, ce jour de vide, de silence et d’absence. Un jour qui ne dit rien, mais où pourtant tout se joue. C’est le jour du grand silence, non pas un silence creux, mais un silence habité. Le silence d’un seuil.

La tradition dit que le Christ descend aux enfers. Dans une lecture non-duelle, cela signifie qu’il plonge dans les profondeurs de l’être, qu’il rejoint les zones oubliées, les parts mortes ou mises de côté, tout ce que nous avons enfoui, tout ce que nous n’osons plus regarder.

Le Je-suis descend jusque-là. Il ne fuit rien, ne contourne rien. Il traverse les ténèbres, rejoint ce qui semblait hors d’atteinte, même ce qui en nous semblait irrémédiablement perdu. Il n’y a là aucune victoire éclatante, rien de spectaculaire. C’est un travail souterrain, une œuvre invisible, comme une graine enfouie dans la terre, comme un enfant encore caché dans le ventre de sa mère. Un mystère silencieux, une lente germination.

« Si la graine ne tombe en terre et ne meurt, elle reste seule ; mais si elle meurt, elle porte du fruit » (Jean 12,24), disait Jésus. C’est cela, le cœur du samedi saint : une mort qui prépare une naissance, un effacement qui enfante un avenir, un silence qui enfante une parole neuve.

La graine ne fait pas de bruit. Elle ne brille pas. Elle ne s’impose pas. Mais dans l’obscurité, elle se transforme. Sa coquille se fend, et une vie nouvelle s’y prépare, une vie qui ne ressemble en rien à ce qu’elle était. Il en est ainsi de nous. En nous aussi, il y a des graines abandonnées, des désirs profonds oubliés, des élans brisés, des présences perdues. Tout ce que nous croyions mort peut devenir germe, à condition de trouver une terre où reposer, un silence où mûrir, une obscurité féconde où se laisser transformer.

Ce jour-là, il n’y a rien à faire. Il ne s’agit pas d’agir, mais d’être là, simplement là. D’habiter le silence, sans le fuir. De ne pas combler le vide, mais de l’écouter. Car c’est précisément là, dans ce creux, que quelque chose s’ouvre. Une matrice invisible, un possible en gestation. La résurrection ne naît pas d’un effort, mais d’une disponibilité. Elle surgit de ce qui mûrit dans l’ombre, dans l’abandon, dans le non-savoir.

Ce jour-là, la Présence ne se montre pas, elle ne parle pas, elle ne fait pas signe. Elle descend, elle s’enfouit, elle se fait graine. Et nous, sommes-nous prêts à faire silence, à attendre, à laisser mûrir en nous ce qui n’est pas encore né ?

Le samedi saint nous apprend à ne pas forcer la lumière, à ne pas vouloir comprendre trop vite, mais à faire confiance à l’invisible, à laisser le Je-suis œuvrer en nous dans le secret de nos obscurités.

Ce n’est pas un jour pour tout éclaircir.. C’est un jour pour veiller. Pour rester là, fidèle, au cœur même de l’absence. Car dans ce silence, une vie travaille déjà. Une vie plus grande que la mort. Une vie que rien ne peut arrêter.


Ce texte fait partie d’un chemin pour la semaine de Pâques.
Un texte par jour, comme une invitation à l’écoute intérieure, à l’éveil du Je-suis, à partir des récits bibliques relus dans une perspective non-duelle.

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