On entend parfois que la méditation serait une fuite, un retrait du monde, une manière d’échapper à ses tourments. Comme si méditer, c’était se mettre à distance, se couper du réel. Et pourtant… n’est-ce pas tout l’inverse qui se joue dans cette présence silencieuse ?
Méditer, non pour fuir, mais pour voir autrement
Quand nous nous asseyons, quand nous nous laissons rejoindre par le silence, nous n’échappons à rien. Au contraire, nous nous ouvrons à ce qui est là, en nous et autour de nous. Nous cessons de nous disperser, de nous perdre dans l’agitation. Nous apprenons à écouter autrement. Ce n’est pas un éloignement, mais un approfondissement.
Dans cette plongée intérieure, le monde ne disparaît pas. Il se révèle sous un jour nouveau. Nous découvrons que nous ne sommes pas séparés de lui, que ce que nous vivons en nous fait écho à ce qui se passe autour de nous. Nos luttes intérieures rejoignent les tensions du monde. Nos apaisements rayonnent bien au-delà de nous-mêmes.

« Ne pas être du monde, mais dans le monde »
Dans les Évangiles, Jésus parle souvent du « monde » (kosmos en grec) avec une double réalité : à la fois le monde extérieur et le monde intérieur de nos pensées, de nos émotions, de nos conditionnements. Il ne s’y oppose pas frontalement, mais il ne s’y enferme pas non plus. Il dit :
« Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. » (Jean 17,16)
Et pourtant, il ne cherche pas à nous en retirer :
« Je ne te demande pas de les retirer du monde, mais de les garder du mal. » (Jean 17,15)
Cela dit quelque chose d’essentiel : ce n’est pas la fuite du monde qui nous libère, mais la manière dont nous l’habitons. Méditer, c’est précisément cela : ne plus être pris-es dans le flot des automatismes, des réactions, des peurs, mais trouver un espace intérieur libre, un lieu où nous pouvons être pleinement là, sans être emporté-es.
Un temps pour méditer, un temps pour agir
La méditation n’est pas conçue pour nous sortir du monde. Elle est un temps nécessaire pour nous préparer à mieux y être. Il y a un temps pour se retirer, pratiquer, cultiver la clarté, défaire les mécanismes intérieurs de l’ignorance en soi, et un temps pour revenir et interagir avec le monde, mais d’une manière plus éclairée et moins réactive.
Méditer, c’est entrer dans ce désert intérieur, à l’image des Pères et Mères du désert du premier millénaire. Ils-elles ont quitté les villes non pour fuir, mais pour aller à la rencontre de l’Essentiel. Le désert n’était pas un lieu d’évitement, mais un creuset. Un espace où l’inutile tombe, où l’on fait face à soi-même, où l’on apprend à entendre l’écho profond de l’Infini.
Méditer, c’est accepter de traverser nos mirages, nos illusions, nos peurs. C’est se tenir là, dépouillé-e, disponible, poreux-se à l’Essentiel. Et, paradoxalement, c’est ainsi que l’on revient au monde. Non plus en étant entraîné-e par son agitation, mais en portant en soi un espace de clarté, de liberté.
Un engagement qui ne réagit plus, mais qui émane
L’engagement qui en découle ne naît plus d’une simple réaction aux urgences extérieures. Il s’enracine dans un autre lieu. Il ne s’agit plus d’être contre quelque chose, mais d’incarner une autre manière d’être.
Les Pères et Mères du désert n’étaient pas indifférents au monde. Beaucoup venaient les voir, leur demander conseil. Leurs paroles, surgies du silence, avaient un poids, une force. Ils-elles n’étaient pas ailleurs : ils-elles étaient juste là, autrement.
Être le changement que l’on veut voir dans le monde
L’engagement qui naît de la méditation ne se fonde pas sur une réaction immédiate aux urgences extérieures, mais sur une transformation intérieure. Tout commence en nous. Si nous voulons un monde plus juste, plus bienveillant, plus en paix, alors nous sommes invité-es à incarner ce changement en nous-mêmes.
Cela peut commencer simplement : en cultivant la bienveillance envers nous-mêmes et envers les autres. En développant une écoute plus profonde, un regard plus ouvert. Mais il y a mille manières d’être ce changement : en prenant soin de notre manière de parler, de travailler, de vivre nos relations, d’agir dans le monde.
Il ne s’agit pas d’attendre que le monde change pour être en paix, mais d’apprendre à habiter cette paix, à la faire grandir en nous, à la rayonner.
« Si chacun écoutait seulement un peu plus sa voix intérieure, s’il essayait seulement d’en faire retentir une en soi-même – il y aurait déjà beaucoup moins de bruit sur terre. »
« Je ne vois pas d’autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. »
Etty Hillesum
Un paradoxe fécond
Méditer, c’est entrer dans ce mouvement paradoxal : se retirer pour mieux revenir, s’arrêter pour mieux voir, se taire pour mieux entendre. C’est un chemin d’ajustement, un équilibre mouvant entre intériorité et action, silence et parole, retrait et engagement.
Un chemin qui ne nous sort pas du monde, mais nous y plonge plus profondément.
Nils Phildius, 25 février 2025
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