1 Deux jours avant la fête de la Pâque et des pains sans levain, les chefs des prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse, pour le faire mourir. 2 Ils disaient : « Pas pendant la fête, pour éviter des troubles dans le peuple. »
3 Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux. Pendant qu’il était à table, une femme entra avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de nard pur, de grande valeur. Brisant le flacon, elle versa le parfum sur sa tête. 4 Quelques-uns s’indignaient : « À quoi bon ce gaspillage de parfum ? 5 On aurait pu le vendre pour plus de trois cents pièces d’argent et en donner aux pauvres ! » Et ils s’emportaient contre elle. 6 Mais Jésus dit : « Laissez-la. Pourquoi la tracasser ? Elle a accompli un beau geste envers moi.
7 Les pauvres, vous les avez toujours avec vous, et vous pouvez leur faire du bien quand vous voulez ; mais moi, vous ne m’avez pas toujours. 8 Elle a fait ce qu’elle a pu ; elle a d’avance parfumé mon corps pour l’ensevelissement. 9 Amen, je vous le dis, partout où sera proclamée la Bonne Nouvelle, dans le monde entier, on racontera aussi, en mémoire d’elle, ce qu’elle a fait. »10 Judas Iscariote, l’un des Douze, alla trouver les chefs des prêtres pour leur livrer Jésus. 11 À cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait comment le livrer au moment favorable.
Marc 14, 1-11
IIl y a des scènes qui traversent les siècles comme un souffle. Celle-ci en fait partie. C’est un moment de bascule, où tout se joue dans un geste simple, silencieux, mais infiniment profond.
Une femme entre dans la maison où Jésus est attablé. Chez Marc, elle reste anonyme. Elle ne dit rien, elle ne demande rien. Elle ne s’annonce pas. Elle agit. Elle brise un flacon de parfum très précieux, et elle le verse sur la tête de Jésus. Ce geste, à première vue étonnant, est en fait d’une force incroyable. Elle donne ce qu’elle a de plus précieux. Elle le donne sans calcul, sans attente de retour, sans chercher à être vue ou comprise. Elle donne par amour, simplement.

Elle n’a pas demandé la permission. Elle ne s’est pas inquiétée des convenances ou des règles. Elle n’a pas attendu qu’on la bénisse pour oser. Elle a suivi un élan intérieur, plus fort que la peur, plus fort que la retenue. Elle offre un geste de tendresse, de reconnaissance, de présence… Elle offre le meilleur d’elle-même, le plus vivant.
Et je me demande : quel est ce parfum en moi que je retiens encore ? Ce geste d’amour que je porte mais que je n’ose pas poser ? Qu’est-ce que je garde précieusement fermé, de peur de le gaspiller ou de le donner « pour rien » ?
Alors, bien sûr, les jugements tombent tout de suite. On entend aussitôt des voix dire : « à quoi bon ce gaspillage ? »… Comme souvent quand un geste d’amour vrai surgit, ça dérange. Ça trouble. Il échappe à la logique des comptes, des rendements, des stratégies. Et puis, il y a aussi la gêne. Ce geste d’une femme qui oint un homme, si proche du corps, peut sembler ambigu, presque trop intime. Certains y voient peut-être une connotation sexuelle. Alors que ce n’est pas cela du tout. Ce n’est pas un geste de séduction, mais d’offrande. Et peut-être que cette ambiguïté dérange parce qu’elle nous met face à un amour désarmé, gratuit, sans défense.
Ces voix qui dénoncent, ce sont aussi parfois des voix en nous. Des voix qui nous freinent, qui nous disent : ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas utile, ce n’est pas juste. Ou c’est gênant. Alors qu’en réalité, c’est juste beau, bon et vrai.
Et je me demande : est-ce que je me laisse encore freiner par la peur du regard des autres ? Par la peur de ne pas être compris-e, par l’angoisse de ne pas être à la hauteur des normes, même implicites ?
Et Jésus, lui, voit autrement. Il ne juge pas. Il ne rationalise pas. Il ne fait pas de calculs. Il dit simplement : « elle a accompli un beau geste envers moi ». Il reconnaît. Il honore. Il accueille. Il voit la beauté cachée derrière l’apparente folie. Il entend l’intention du cœur, bien au-delà de l’acte en lui-même. Et ça, c’est bouleversant. Parce que ce que le monde peut voir comme une erreur ou une absurdité, Jésus le voit comme une bénédiction. Une offrande précieuse. Une onction d’amour.
Et si c’était cela, le chemin le plus direct vers la Présence du Je-suis dans nos vies ? Il y a mille manières de s’y approcher, de s’en approcher. Des voies lentes, des détours féconds, des compréhensions progressives… mais il y a aussi une voie sans détour, une voie qui ne demande ni savoir, ni mérite : c’est l’amour. Être aimé-e comme on ne l’a jamais été. Goûter à l’amour sans condition, même juste un instant. Ou aimer à notre tour, au-delà de toutes nos résistances, de toutes nos blessures, de tout ce qui en nous dit non. Cet amour-là, quand il passe, fait toucher l’éternité. Il ne s’explique pas : il se vit.
Et je me pose la question : est-ce que moi, je suis capable aujourd’hui de reconnaître la valeur sacrée d’un geste d’amour, même si c’est inutile, invisible, déroutant ? Est-ce que je peux m’émerveiller devant un geste de tendresse, même s’il ne produit rien d’immédiat, même s’il n’a aucun effet mesurable ?
Et puis Jésus dit autre chose, de très profond. Il dit : « elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement ». Elle ne le sait pas encore, mais elle prépare la suite. Elle entre, par son geste, dans le mystère de la mort et de la vie. Elle touche déjà le corps du Ressuscité, elle devance les femmes du tombeau. Ce parfum est une onction pascale, avant l’heure. Elle annonce la vie en traversant la mort.
Et là aussi, on peut entendre un appel pour nous. Quelle part de moi est appelée aujourd’hui à oindre ce qui meurt ? Ce qui se transforme ? Ce qui bascule dans une forme inconnue ? Est-ce que je suis prêt-e à honorer ce passage, à accompagner ce qui s’efface, sans fuir, sans retenir ?
Et enfin, Jésus dit encore une parole extraordinaire : « partout où sera proclamée la Bonne Nouvelle, on parlera d’elle, en mémoire d’elle ». Pas parce qu’elle a enseigné. Mais parce qu’elle a aimé. Son geste d’amour pur devient Évangile. Il est mémoire vivante de la Bonne Nouvelle. Et c’est ça, au fond, l’Évangile : l’amour plus fort que les règles, plus vrai que les doctrines, plus profond que les systèmes.
Alors moi, est-ce que je crois vraiment qu’un seul geste d’amour vrai peut traverser le temps, toucher quelqu’un quelque part, même si je ne le saurai jamais ? Est-ce que je crois que l’amour donné, même en secret, a ce pouvoir de devenir Bonne Nouvelle ?
Je vous propose encore quelques questions, comme des invitations intérieures, pour laisser ce texte continuer à faire son chemin en nous :
- Quel geste gratuit suis-je invité-e à poser aujourd’hui, simplement par amour, sans chercher à être compris-e ni approuvé-e ?
- Qu’est-ce que je retiens encore, par peur de gaspiller, par peur de choquer, par peur du regard ?
- Est-ce que je peux croire que le Vivant, l’Essentiel, voit et reçoit tout geste fait dans la vérité du cœur, même s’il est caché ?
- Et si ce petit geste que je vais poser aujourd’hui, aussi humble soit-il, devenait Bonne Nouvelle pour quelqu’un, quelque part ?
Et la question finale, pour chacun-e de nous, pourrait être simplement celle-ci :
Est-ce que j’oserai aujourd’hui, moi aussi, poser un acte d’amour vrai… sans autre raison que la Présence ? Sans autre retour que la joie de l’avoir offert ?
Ce texte fait partie d’un chemin pour la semaine de Pâques.
Un texte par jour, comme une invitation à l’écoute intérieure, à l’éveil du Je-suis, à partir des récits bibliques relus dans une perspective non-duelle.