Être amoureux-se de sa vie

Une invitation à plonger pleinement dans l’existence

Pour beaucoup, la vie est une traversée semée d’obstacles, de peines et d’incertitudes. Il est tentant de vouloir y échapper, de chercher un refuge loin de la douleur et du chaos du monde. Souvent, la spiritualité est perçue comme une échappatoire, une promesse d’élévation au-delà des limites de l’existence humaine. Pourtant, la voie du Christ nous invite à un tout autre mouvement : celui d’entrer pleinement dans notre incarnation, sans en exclure aucune facette.

La spiritualité chrétienne nous enseigne que le sacré ne se trouve pas ailleurs, mais au cœur même de notre humanité, avec toutes ses contradictions et sa fragilité. L’Infini vient se goûter dans le fini de notre existence. C’est là l’un des grands paradoxes de la vie spirituelle : il ne s’agit pas de fuir, mais d’accueillir.

Une spiritualité radicalement humaine

Une spiritualité qui ne nous relie pas à la vie, qui ne nous rend pas plus profondément humain-e, ne sert à rien. La transcendance n’est rien sans immanence. La non-dualité ne signifie rien si elle n’est pas une histoire d’amour avec le désordre de la dualité. L’invitation n’est donc pas d’échapper aux vicissitudes de notre vie, mais au contraire d’y être pleinement présent-e, d’oser plonger dans la réalité de notre existence… et d’en être amoureux-se envers et contre tout.

Ce choix de la vie n’est pas naïf. Il ne s’agit pas d’un optimisme aveugle, mais d’un engagement à voir et à ressentir la beauté au sein même de la complexité. Comment y parvenir ? Comment être amoureux-se de sa propre vie, même lorsqu’elle semble lourde et éprouvante ?

Une voie d’immersion

Le chemin commence par l’acceptation de ce qui est. La vie n’est pas un plan prévisible, une route tracée d’avance. Elle est faite de contradictions, de tensions, d’épreuves. Comme l’écrit Christian Bobin :

« La vie n’est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d’architecte. La vie n’est rien de prévisible ni d’arrangeant. Elle fond sur nous comme le fera plus tard la mort, elle est affaire de désir et le désir nous voue au déchirant et au contradictoire. »

La plus que vive, Gallimard, p. 61

Et pourtant, il est possible d’aimer cette vie dans tout ce qu’elle comporte. Etty Hillesum, en pleine Seconde Guerre mondiale, écrivait :

« La vie est belle. Je suis une femme heureuse, je chante les louanges de cette vie. »

Une vie bouleversée, p. 133

Comment pouvait-elle dire cela, au cœur de l’horreur ? Elle parlait depuis un lieu intérieur, depuis cet espace où la vie naît en nous, au-delà des circonstances extérieures. Ce lieu où l’Esprit souffle et où l’on peut reconnaître que, malgré tout, la vie est précieuse et pleine de sens.

Un processus de réorientation et d’ouverture

Aimer la vie telle qu’elle est demande un cheminement intérieur. Trois étapes essentielles se dessinent :

  1. Se réorienter : Reconnaître que l’on s’est perdu dans le tumulte du quotidien et retrouver le fil de l’essentiel. Cela demande de faire un pas de côté, d’ouvrir un espace de silence en soi pour écouter ce qui nous appelle vers plus de vie.
  2. Se dépouiller des croyances limitantes : Nous portons en nous tant de pensées qui nous enferment : « Je ne suis pas assez ceci ou cela », « La vie est trop dure », « Je ne mérite pas d’être heureux-se ». Ces croyances finissent par façonner notre réalité. Les voir, les remettre en question, c’est déjà les desserrer.
  3. S’immerger dans la vie : Au lieu de résister ou de chercher à contrôler, il s’agit de dire « oui » à l’existence telle qu’elle se présente. De plonger dans le flux du vivant, en acceptant que la vie est une danse entre lumière et obscurité, joie et peine, ordre et chaos.

Ton génie, écrit encore Christian Bobin, est « d’avancer dans la déchirure, de traiter avec l’amour sans intermédiaire, d’égal à égal, et tant pis pour le reste. D’ailleurs, quel reste ? » (La plus que vive, Gallimard, p.61)

C’est une invitation à embrasser la vie, non pas en niant ses défis, mais en choisissant de s’y engager pleinement, avec confiance et ouverture. Car c’est là, dans cette incarnation même, que le Souffle se révèle et que nous pouvons goûter la véritable liberté.

Nils Phildius, 4 décembre 2023


Pour aller plus loin, vous pouvez regarder la vidéo de l’Heure bleu ciel sur ce thème