Résister autrement : ancrés dans l’Essentiel, libres au cœur du monde
S’il subsistait encore des doutes, ils n’ont plus lieu d’être : le véritable objectif des milliardaires est désormais évident. Ce n’est pas simplement d’innover, de développer la technologie ou d’apporter des solutions à l’humanité. Leur objectif, consciemment ou non, est toujours le même : plus de pouvoir, plus de contrôle, plus de richesses. Leur influence s’étend bien au-delà de l’économie : ils façonnent nos pensées, nos désirs, l’information que nous consommons et les orientations politiques des nations.
Nous avons devant nous de nouveaux pharaons.
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[Pourquoi « Résonances du monde » ? Lire l’introduction]
Dans la Bible, Pharaon est un archétype, tout comme Hérode. Il représente le pouvoir qui asservit, qui refuse de laisser la vie s’épanouir librement, qui exploite sans conscience. Ce n’est pas seulement une figure historique, c’est une force à l’œuvre dans le monde, mais aussi en nous. Pharaon, ce sont nos peurs, notre désir de contrôle, notre incapacité à lâcher prise.
Aujourd’hui, ce Pharaon moderne ne réduit pas seulement l’humain en esclavage par l’économie et la technologie. Il asservit aussi la Terre. L’illusion de la domination ne s’exerce pas seulement sur les peuples, elle s’exerce sur le Vivant tout entier.
Mais l’histoire biblique nous enseigne que tout pharaon finit par chuter. Non pas forcément par une révolte extérieure, mais parce que le pouvoir qui ne sert que lui-même finit toujours par s’effondrer sous son propre poids. L’illusion du contrôle absolu se brise.
« Laisse aller mon peuple »
La question n’est pas seulement : jusqu’où iront-ils ? Mais plutôt : qu’allons-nous faire, nous ? Comment nous positionner intérieurement face à cette réalité ?
La tentation est grande de tomber dans la colère ou le désespoir. Se sentir impuissant-e, résigné-e. Voir cette machine nous broyer et nous dire qu’il n’y a rien à faire. Mais il y a un autre chemin.
Il commence par reprendre conscience de ce qui en nous est déjà libre. Ce qui ne peut être confisqué par aucun pouvoir terrestre. Il commence par un regard lucide : voir ces dynamiques à l’œuvre, comprendre comment elles jouent avec nos peurs, nos désirs, notre besoin de sécurité et de reconnaissance. Voir que ces « nouveaux pharaons » ne sont finalement que le reflet d’un monde qui n’a pas encore compris où se trouve la vraie richesse.
Mais voir ne suffit pas. Pour ne pas rester pris dans la réaction, il nous faut revenir au corps, au sentir, à la sensation.
Notre véritable liberté commence quand nous cessons de nous laisser happer par nos pensées et revenons à l’expérience directe du moment présent. Non pas en fuyant la réalité, mais en nous y ancrant plus profondément.
Tant que nous restons enfermés dans le mental, nous jouons encore le jeu du pouvoir. Mais quand nous revenons à la sensation du souffle, à la simple présence de notre corps vivant, nous sortons du piège. Nous ne sommes plus esclaves des illusions qui nous divisent, nous ramenant toujours aux mêmes schémas de peur et de lutte.
C’est une autre manière de résister : être là, pleinement. Ressentir l’instant. Sentir la peur sans y céder. Sentir l’élan de vie qui palpite sous l’inquiétude. Sentir l’espace plus vaste qui nous contient.
« Le Royaume est au-dedans de vous »
Cette manière d’être était celle du Christ. Il ne s’est pas laissé impressionner par la puissance de Rome ni par le pouvoir religieux de son temps. Il n’a pas cherché à renverser les empires par la force, mais à éveiller en chacun-e la conscience d’un autre Royaume, celui qui « n’est pas de ce monde » (Jean 18,36), celui qui est déjà là, « au-dedans de vous » (Luc 17,21).
Le piège des empires – d’hier comme d’aujourd’hui – est de nous faire croire que le pouvoir est hors de nous, qu’il est inaccessible, qu’il est réservé à une élite. Mais le Christ nous révèle une autre réalité : il y a en chacun-e une souveraineté intérieure qui ne peut être confisquée.
La vraie richesse n’est pas dans l’accumulation, mais dans la profondeur d’un être humain qui se tient debout, libre, relié à l’Essentiel.
Si nous nous contentons de dénoncer le pouvoir extérieur sans voir comment il vit en nous – comment nous aussi nous cherchons à contrôler, à nous imposer, à posséder – nous resterons enfermés dans les mêmes schémas. Mais si nous reconnaissons ces mécanismes en nous, si nous les laissons se dissoudre dans une Présence plus vaste, alors quelque chose peut réellement changer.
« Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres »
La seule vraie révolution commence toujours au-dedans.
Refuser de jouer le jeu de la peur et du repli. Cultiver la sensation vivante là où l’on voudrait nous enfermer dans l’abstraction. Se poser dans la respiration là où l’on voudrait nous précipiter dans l’urgence. Choisir la simplicité là où l’on veut nous faire croire que nous avons besoin de toujours plus. Se tenir dans la vérité là où l’on cherche à nous endormir.
Jésus disait : « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » (Jean 8,32). Mais cette vérité ne s’impose pas par le pouvoir ni par la force. Elle s’éprouve dans l’instant, dans le cœur, dans le souffle.
Trois pistes concrètes pour ne pas nous laisser happer
- Le silence comme acte de résistance
Dans un monde saturé de bruit et de distractions, oser le silence, c’est sortir du jeu du pouvoir. Prendre du temps chaque jour pour écouter ce qui se passe en nous, accueillir sans juger, se poser dans l’instant. C’est là que se fait la véritable transformation. Le silence est le lieu où tombent les illusions et où renaît la liberté. - Sortir de la logique de l’accumulation
Refuser l’illusion que « plus, c’est mieux ». Pratiquer la simplicité : dans nos possessions, dans nos engagements, dans notre manière d’être. Soutenir les alternatives collectives plutôt que d’alimenter un système qui nous isole et nous épuise. Chercher ce qui a vraiment du sens, ensemble. - Tisser des liens vivants
Pharaon règne par la division, en isolant et en fragmentant. À l’inverse, résister, c’est créer du lien. Se rencontrer, échanger en vérité, partager des espaces de fraternité, construire des réseaux de solidarité hors des circuits dominants.
Résister autrement : ancrés dans l’Essentiel, libres au cœur du monde
Ce monde a besoin de femmes et d’hommes profondément ancré-e-s dans l’Essentiel, qui ne se laissent pas troubler par les illusions du pouvoir mais qui osent rayonner une autre manière d’être.
Il ne s’agit pas seulement de résister à l’oppression extérieure, mais de ne pas nous laisser voler notre paix intérieure. Car c’est de là que naît la vraie force, celle qui ne cherche pas à dominer, mais à éveiller.
Peut-être que nous ne changerons pas les milliardaires. Peut-être que les puissants continueront à accumuler leur richesse et à se convaincre qu’ils ont droit de régner sur le monde. Mais une chose est certaine : ils n’auront jamais pouvoir sur un être humain pleinement éveillé à ce qu’il est vraiment.
Alors, que choisissons-nous ? Restons-nous spectateurs du pouvoir, ou devenons-nous les artisans d’un autre monde, en commençant par l’espace le plus proche : notre propre souffle, notre propre sensation, notre propre cœur ?
C’est dans ce Royaume intérieur que tout commence.
Nils Phildius, 18 février 2025