Un regard non-duel sur la prière
Comment commence la prière ?
Souvent, on imagine la prière comme une demande : il faut bien formuler les mots, dire ce qu’on veut, s’adresser à un Dieu extérieur. Et c’est souvent ainsi qu’elle débute.
Par une parole. Une formule ancienne comme le Notre Père. Un cri. Un gémissement. Un besoin de lien. D’écoute. D’amour. Un élan pour quelqu’un qu’on aime, un arbre blessé, une injustice, un inconnu croisé dans la rue.
Ces élans-là sont déjà prière. Ils créent du lien. Ils nous déplacent vers l’autre. Ils nous ouvrent, déjà, à quelque chose de plus vaste.

Et si prier, c’était simplement aimer ?
Et si prier, c’était quelque chose de très simple, intime et profond. Et si prier, c’était aimer ? Se relier ? À soi. À l’autre. À l’Essentiel.
Dans une perspective non-duelle, la prière n’est plus une adresse à un Dieu extérieur, mais un espace intérieur : un lieu d’écoute, de transformation, de reliance.
Prier devient alors se relier
Se relier à une Présence plus vaste
Prier, c’est s’ouvrir à quelque chose de plus grand que soi. Une Présence paisible qui traverse les peurs, les attentes, les résistances. Ce n’est pas penser. Ce n’est pas parler. C’est être là, disponible.
Un souffle. Une paix. Sans rien demander, parce que tout est déjà là.
Se relier à soi-même
Prier pour soi, ce n’est pas se corriger. C’est s’accueillir. Reconnaître ses blessures, ses besoins, ses ressources. S’asseoir quand on est épuisé-e. Écouter une peine au lieu de l’écarter. C’est poser sur soi un regard d’amour. Se réconcilier avec ses zones d’ombre. Se rapprocher doucement de son unité intérieure.
Se relier à l’autre — humain ou non-humain
Prier pour l’autre, ce n’est pas vouloir qu’il change. C’est être avec lui, en silence, dans le cœur. Être présent-e à ce qu’il traverse, sans fuir. Et cela change notre relation. On ne “fait plus pour”, on “est avec”.
Cela vaut aussi pour le vivant. Prier pour un arbre, un animal, une rivière… c’est reconnaître que la même vie nous traverse. C’est marcher dans la nature, toucher un tronc, écouter le vent, et sentir qu’on fait partie d’un tout. La prière devient alors une célébration silencieuse de l’interconnexion.
La prière, un mouvement intérieur
Prier, c’est écouter. C’est se tourner vers une Présence déjà là.
Jean-Yves Leloup dit :
« Prier, c’est respirer. Expirer profondément, abandonner nos tensions, et laisser venir l’inspiration, accueillir l’amour, la paix, la présence. »
La danse entre la volonté du fils et celle du Père
Jésus nous montre dans les Évangiles deux façons de prier.
Parfois, je suis « fils ou fille du Père ». Je ressens une distance, un manque, un besoin. Comme Jésus sur la montagne, j’ai besoin de demander, de chercher du réconfort (Marc 1,35 ; Luc 6,12).
Parfois, je suis “dans le Père”. Dans cette unité silencieuse où il n’y a plus rien à demander, car tout est déjà là (Jean 17,21).
Ce passage est comme une danse intérieure. Entre ma volonté et Ta volonté. Entre mon humanité fragile et une sagesse plus vaste.
À Gethsémani, Jésus dit :
« Non pas ma volonté, mais la tienne » (Luc 22,42)
Et Marie, dans l’écoute confiante, murmure :
« Qu’il me soit fait selon ta parole » (Luc 1,38)
Prier, c’est souvent passer de ma volonté à la Tienne. Non pas en s’écrasant, mais en s’ouvrant. Comme si « que ta volonté soit faite » voulait dire : « dans mon cœur, sur ma terre intérieure ».
Un chemin : les quatre niveaux de prière (Guigues le Chartreux)
Guigues, moine du XIIe siècle, évoquait quatre niveaux de prière :
– La prière des lèvres : on récite, on parle à un Dieu perçu comme extérieur.
– La prière du cœur : le lien devient plus vivant, plus affectif.
– La prière du silence : on entre dans l’écoute. On ne parle plus, on reçoit.
– La prière d’unité : il n’y a plus de “je” qui prie. Il n’y a que la Présence. L’unité.
Ce chemin n’est pas linéaire. On peut passer de l’un à l’autre, revenir, avancer.
L’important, c’est ce mouvement d’approfondissement vers ce lieu en nous où tout est déjà donné.
Quelques questions qui restent
Pourquoi prier si l’Essentiel sait déjà tout ? Peut-être pour nous ouvrir. Pour déposer nos résistances. Pour nous recentrer.
Et si l’autre ne change pas ? Ma prière a-t-elle échoué ? Ou m’a-t-elle transformé-e ? A-t-elle changé mon regard, ma présence ?
Quand je prie pour quelqu’un, suis-je dans l’amour… ou dans une attente déguisée ? Ai-je confiance, ou est-ce encore un besoin de contrôle ?
Et si l’exaucement, ce n’était pas ce que je veux…mais ce dont j’ai le plus profondément besoin ? Devenir plus aimant, plus libre, plus vivant.
Ces questions ne demandent pas des réponses toutes faites. Elles nous invitent à écouter autrement. À laisser de la place. À nous laisser transformer.
Conclusion : une prière qui relie
Il n’y a pas une seule manière de prier. Toutes sont valables, toutes ont leur moment.Parfois, la prière est cri. Parfois, souffle.Parfois, parole. Parfois, silence.Parfois, elle s’adresse à un Dieu. Parfois, elle est juste présence.
Mais ce qu’elles ont en commun, c’est ce mouvement de reliance. Ce déplacement intérieur. Cette ouverture.
Prier, ce n’est pas chercher à tout changer. C’est devenir un peu plus l’espace aimant où l’Essentiel peut respirer. Et peu à peu, notre vie entière devient prière. Aimer. Simplement. Chaque instant.