Le Carême s’ouvre, non comme une contrainte, mais comme une invitation à une résistance douce, silencieuse, mais profonde. Résister autrement. À contre-courant du bruit, de l’urgence et de l’accumulation. Résister non par la lutte, mais par un retour à l’essentiel.
L’Évangile nous parle de prière, de don et de jeûne. Non comme des règles à suivre, mais comme des chemins pour retrouver l’espace intérieur, ce lieu où tout est déjà là.
Dans un monde saturé de sollicitations, de peurs et d’injonctions à « faire toujours plus », ce triple mouvement – donner, prier, s’alléger – est une manière de se tenir debout autrement.

Donner pour que la vie circule
Donner, ce n’est pas seulement offrir quelque chose à quelqu’un. C’est laisser circuler ce qui nous traverse, sans attente ni calcul. Un don libre, détaché, qui ne cherche pas de retour. Dans une époque où la peur pousse au repli, où l’on craint de manquer, où tout semble se monnayer, donner devient un acte de résistance. Résister à l’économie du mérite et du profit, en choisissant la gratuité.
Ce qui est donné dans le secret du cœur n’est pas perdu. Il s’inscrit dans un mouvement plus vaste, un mouvement qui nous dépasse et nous traverse.
Prier ou simplement se recueillir en silence
Prier, ce n’est pas fuir le monde, ni se réfugier dans des mots qui nous rassurent. C’est entrer dans le silence du dedans, là où l’Infini est déjà là.
Mais pour beaucoup, la prière semble difficile, peut-être même étrangère. Pourtant, elle ne demande rien d’autre que d’être là, sans attente, sans effort. La méditation silencieuse est une forme de prière. S’asseoir, respirer, écouter. Se rendre disponible. Résister à l’agitation, en choisissant l’écoute.
Dans un monde où tout s’accélère, où l’information nous inonde et nous étourdit, il est urgent d’apprendre à faire silence, à ne pas réagir immédiatement, à laisser résonner. C’est une autre manière de résister, en ne se laissant pas happer par le flux constant des actualités, en retrouvant cet espace du dedans où quelque chose de plus grand peut advenir.
S’alléger pour mieux s’ouvrir
Le jeûne, loin d’être une privation, est une manière de créer de l’espace. Non pas pour se priver, mais pour se rendre disponible.
Dans une société qui valorise le plein, la consommation, l’accumulation, choisir de s’alléger, c’est résister à l’idée que le bonheur se trouve dans l’avoir. S’alléger, c’est redécouvrir que nous ne sommes pas ce que nous possédons, ou ce que nous consommons. C’est faire de la place en soi pour accueillir l’Essentiel.
Ce n’est pas un renoncement, mais un souffle. Une manière de retrouver la simplicité de l’être.
Résister en choisissant la vie intérieure
Résister autrement, ce n’est pas être contre quelque chose, mais choisir un autre mouvement. Un mouvement qui ouvre, allège et relie. Dans un monde qui se durcit, il est tentant de se crisper, de se protéger, de vouloir contrôler. Et si la vraie résistance était au contraire un chemin de lâcher-prise, de confiance et d’ouverture ?
Donner sans attendre. Prier sans chercher. S’alléger sans se contraindre. Non pour s’éloigner du monde, mais pour y être pleinement, autrement.
Le Carême est un temps pour faire retour, pour retrouver ce qui demeure quand on cesse de vouloir remplir, accumuler, prouver. Un temps pour habiter l’espace intérieur.
Nils Phildius, 5 mars 2025